•• LET'S DO THE TIME WARP AGAIN
Elle avait à peine seize ans qu'elle vivait dans la misère. Pendant de longues années elle avait fait sa route d'orphelinat en famille d'accueil sans résultat. Elle fuyait, s'enfermait, se cachait dans les ruelles sombres. Elle avait rejoint des mercenaires, des reclus de la société, prêts à tout pour survivre dans Ura. Elle avait à peine seize ans qu'elle avait déjà prit une balle dans le genou, elle vacillait, le visage déformé par la douleur. Elle vivait à travers la galaxie, à travers les lumières étincelantes qu'étaient les étoiles. Elle souriait, fermait les yeux, vivait à mille à l'heure. Elle avait l'impression d'être utile, de contribuer à leur bien être, du moins être là pour des gens qu'elle aimait. Elle était si jeune pourtant déjà il se mouvait contre ses reins tatoués. Elle soupirait, son corps imbibé d'alcool, presque endormi. Elle était heureuse, pendant quelques années, à juste écouter de la musique et naviguer dans l'immensité de l'espace. L'obscurité l'apaisait comme jamais.
Elle pleurait, sans s'arrêter. Pendant des jours, des mois. Ses larmes se confondaient avec l'alcool. Elle était là, sans rien faire dans la cabine de pilotage. Le silence était entrecoupé de clics et autres bruits de la console. Le noir de l'espace n'était plus agréable, il l'encerclait, l’étouffait. Sa cigarette se consumait lentement, tenue par sa main tremblotante. Elle devait agir, mais n'arrivait qu'à faire la navette main-bouche pour avaler une bouffée de fumée. Elle n'arrivait pas à imaginer qu'ils avaient pus les tuer. Son équipage. Ses amis. Elle frissonnait, parcourue d'un spasme incontrôlable. Son visage était bercé par la faible lumière du panneau de commande. Elle était faible, fatiguée. Son visage rouge, de longues traces de larmes salées sur ses joues, ses yeux injectés de sang.
_Capitole. Grand Hall. « ᖲᗈᗋᐟᐟᐴ/ᒣᒤᕒ» Magasin de chaussures.Elle avait dix-neuf ans, elle était déjà ivre à huit heures. Elle avait du mal à se lever, à sortir de ses rêves. Mettre ses vêtements, c'était dur. Enfiler une culotte, mettre un t-shirt. Une jambe après l'autre. Elle titubait jusqu’à la passerelle, ouvrait la porte principale du Morpheus et montrait fièrement sa fausse carte d'identité aux veilleurs du hangar. Elle avait du fric à claquer encore. Autant le faire sur la plus grosse station de "trous du cul", comme elle l’appelait. Le Capitole. Autant claquer tout son fric dans des vêtements de luxe et des stripteaseurs. Elle n'était pas venue depuis longtemps, surtout depuis l'incident.
Elle marchait avec détermination dans le grand hall, posant sa main sur les vitrines qui pouvaient l’intéresser, entrait, achetait. Il y avait justement cette vitrine alléchante en face qui était composée de douceurs et autres gâteaux sucrés. Coups de feu. Ses doigts s'étaient desserrés des sacs qu'elle portait. Elle avait tourné vivement la tête sur la gauche, pivotant sur elle même, la main soudainement dans son dos, directement posée sur son flingue planqué dans son jean. Renata s'était mise à couvert sans chercher à comprendre. Instinct. Les pensées encore brumeuses, la vision pas très nette, elle apercevait quand même au loin un groupe, de la lumière. Le vacarme était sans pareil. Des dizaines de cartouches vides rebondissaient sur le sol marbré.
En un fragment de secondes, ils avaient disparus du couloir. Des cris résonnaient, des gens paniquaient, se ruaient déjà dans tous les sens. Son regard se posait sur l'enseigne. Le corridor se vidait. Sans savoir pourquoi, elle sortait et se ruait dans le magasin en face d'elle. Elle n'avait pas rêvé, un corps étendu face contre terre l'attendait. Une femme, à la peau bleue dont la couleur maintenant était souillée par le rouge criard de son sang. Il se répandait vite sur le sol glacé, jusqu'à son visage aux yeux ouverts, immobiles, révulsés.
Il y avait autre chose. Un enfant.
Une enfant. Cette petite chose bleuté était penchée sur le corps sans vie. L'enfant l'avait remarquée et la regardait. Sans rien dire. Alors elle ne savait pas trop pourquoi, mais elle lui avait tendu la main et elle lui avait pris sans hésiter.
_Quelque part dans la Bordure Extérieure. Morpheus.Il n'était jamais bon de réveiller Renata, même pour une urgence. Pourtant, lorsque la gamine la réveillait, la colère qui montait sur son visage disparaissait comme une ombre dans la nuit. Déjà, elle s'était arrêtée de boire, du moins pas devant elle puis définitivement. L'alcool ne lui procurait que la nausée et des insomnies. Elle continuait néanmoins à travailler, accablée du fardeau qu'elle portait chaque jour. L'enfant était radieuse, toujours un sourire accroché à ses lèvres, même après la mort de sa mère, du moins si elle s'en rappelait.
Alcyone l'avait réveillée encore une fois, mais cette fois ci à cause de la sonnerie qui retentissait depuis le poste avant de l'appareil. Un appel. Elle s'extirpait du lit sans trop de mal et ordonnait sèchement à l'enfant de ne pas bouger. Une fois dans la cabine, enfermée de l'intérieur, elle tapota sur son écran, affichant désormais le visage d'un homme à l'allure fatiguée.
« Dernière offre à 100.000 de la part de mon commanditaire. » Elle soupirait, la tête penchée, le regard fixé sur le sol métallique du vaisseau. Elle regarda l'écran à nouveau et lâcha un
« d'accord » en un souffle, sachant déjà qu'elle commettait une erreur. Elle ouvrit son paquet de clopes et accrocha une cigarette à sa bouche avant de l'allumer. Elle avait déjà longtemps réfléchit à ce qu'elle pourrait dire à la gamine. Son regard se posa sur l'unique porte de l'habitacle. Elle allait vendre un enfant. Pourquoi elle se prenait autant la tête ? Après tout elle tuait des gens et en capturaient d'autres pour décrocher des primes, ce n'était pas mieux. Mais ça...
« Parfait ».L'écran était redevenu sombre, uniquement agité par des lignes de codes qui défilaient à l'infini. Elle le poussa en lâchant un râle et tira sur sa cigarette. Qu'allait-elle faire réellement ? Le gain était, vraiment alléchant. Elle enclencha les lumières intérieures du Morpheus et déverrouilla la porte. La petite chose bleutée attendait sagement devant depuis déjà un certain temps. Renata tourna sa tête vers elle rapidement et s'attacha avec les ceintures sur son siège.
« On va faire un tour, accroches toi ».Un sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme. Un sourire des plus purs, un sourire qui n'avait jamais été accueilli encore sur son visage. Elle poussa sur l’hyper-drive sans flancher et le monteur vrombit sous sa carcasse noire au beau milieu de nulle part. Elle verrait sur le moment si elle était réellement prête. Prête à tout foutre en l'air. Prête à la garder.
_Aquilae. Aille droite. Refuge.Elle frissonnait dans son lit, dans un coin de la pièce. Ses rêves étaient toujours violents et généralement elle ne dormit pas plus de trois heures dans une nuit. Elle s'était habituée à dormir quelques fois dans une journée pour rattraper le sommeil manquant. La lumière tamisée de l'endroit, éclairé par une lanterne, seule source de lumière aidait fortement à s’endormir. Seul le froid gênait au quotidien dans ce petit refuge qu'elles avaient investi. Elle avait fui avec elle, là où sans doute personne ne souhaitait vivre. Aquilae, la planète gelée, presque inhabitable. Il y avait le centre de recherche, abandonné depuis des années. Elles avaient trouvé réconfort dans un vieux dortoir dans l'aille droite, où personne ne s'y rendait car déjà difficile d'accès. La structure vacillait, grinçait. Quant au Morpheus, elle le cachait sous une bâche dans une grotte non loin du complexe pour les "sorties" indispensables.
Renata avait organisé un nid douillé, en farfouillant dans le centre tout ce qu'elle pouvait récupérer. Depuis quelques mois déjà qu'elle s'étaient enfuies, elle faisait toujours ce même cauchemar. L'explosion à laquelle elle n'était que spectatrice dans laquelle ses amis, sa famille brûlaient dans le vide, l'enfant qu'elle avait gardée les mains teintes de rouge du sang de sa mère, le deal qu'elle avait conclu avec des mercenaires, cette fois où elle avait amené Alcyone sur le lieu de l'échange, se ravisant au dernier moment.
Un bruit.
Il l'avait réveillée. Ce bruit l'avait définitivement sorti de ses rêves. La porte automatique cassée, qu'elle avait vaguement réparée venait de s'ouvrir dans un grincement horripilant. Elle n'était pas en colère non. Elle bouillonnait, rageait intérieurement. Alcyone était partie en douce. Pendant un instant, quelque chose lui avait traversé l'esprit. Elle avait pensé qu'Alcyone voulait s'enfuir. La voir dehors seule, dans le froid, sans aucune défense. Elle posa ses mains contre ses tempes en les massant doucement.
« Je t'ai dit de pas sortir ».Renata s'était levée, voulant fermer la porte, coincée. Elle avait qu'une chose taper du pied dedans en espérant que cela la décoince et qu'elle puisse apaiser sa colère. Elle se demandait chaque jour, presque chaque minute si elle avait fait le bon choix. La gamine, serrée dans ses vêtements chauds semblait honteuse. C'était vrai que Renata lui interdisait de sortir, mais c'était pour son bien. Les températures extrêmes, les voleurs, pilleurs et criminels qui pouvaient se réfugier ici. Elle avait plus peur pour cette enfant que pour elle.
« Il fait froid dehors, c'est dangereux et je n'ai pas envie qu'il t'arrive quelque chose ». Elle était légèrement calmée. Elle se tourna vers elle, voyant quelque chose entre ses moufles. Au moins elle était utile et ramenait du combustible, du matériel lors de ses expéditions interdites. Elle tenait entre ses minuscules mains une carte magnétique, des pads et quelques des composants. Renata s'était à nouveau assise, tandis qu'Alcyone n'avait pas bougée.
« On dirait que tu t'es transformée en glace, aller, montre ce que tu as là ».La gamine lui tendit les objets sans un mot, baissant la tête. Renata soupira un long moment, regarda de plus près le matériel. Les pads étaient en bon état mais pas très utiles. Seuls la carte magnétique et les composants pourraient aider à leur confort. Réparer l'accès à leur abris serait pratique pour plus de sécurité et elle pourrait utiliser la carte pour l'assigner à ce dernier. Alcyone ne sortirait plus qu'avec Renata, pour plus de précaution. Maintenant qu'elles étaient recherchées, elles ne bougeraient plus de cet endroit pour un moment.
Alcyone enleva sa capuche et ses moufles avant d’attraper un pad. La gamine était douée et la mécanique n'avait pratiquement aucun secret pour elle. Renata lui avait apprit quelques trucs utiles depuis quelques mois qu'elles étaient ici.
« Tu veux bien m'apprendre ? ».La petite voix d'Alcyone avait résonné contre les murs de leur piaule. Elle rougissait légèrement, lui montrant l'écran encore fonctionnel. Renata, étonnée, se leva du lit pour s'accroupir devant elle, lui prenant le pad des mains, délicatement. Elle regarda l'écran s'allumer sur un livre virtuel. Elle soupira légèrement avant de lui répondre avec un léger sourire.
« D'accord ».Cinq ans.
Elles avaient fui. Elles avaient fui le bruit tonitruant des explosions sur Aquilae. Le groupe de mercenaires les recherchaient et souhaitaient leur mort ou du moins leur capture. Tout c'était passé vite. Elle n'avait rien prit avec elle. Elle n'avait pas d'armes. Elle avait juste le temps de prendre sous le bras Alcyone et de l'emmener avec elle dans l'aile gauche, où les mercenaires n'avaient pas pénétré les lieux. Les personnes présentes hurlaient, d'autres se cachaient, d'autres encore insultaient Renata car c'était "sa faute". Alors elles couraient. Renata ne sentait plus son corps, ses jambes. Elle portait la gamine sur son dos et s'enfonçait légèrement dans la neige mais elle ne s'arrêtait pas. Elle avait allumé le moteur du Morpheus, appuyé sur les touches et les écrans de manière frénétique, sans un mot. Alcyone attachait sa mère et faisait de même dans le fauteuil du copilote. Elle tirait sur les vaisseaux au sol, espérant les ralentir. Elle avait poussé le levier d'hyper-drive et le vaisseau fendait déjà la neige dans le ciel.
Elles n'avaient rien dit pendant un moment. Alcyone n'était qu'une enfant encore. Elle ne pouvait que la prendre dans ses bras. Elle ne pouvait que la réconforter un peu, lui dire qu'elle ne devait pas avoir peur. Alors Renata repris réellement son travail. Elle faisait en sorte que sa fille adoptive aurait tout pour elle. Elle n'avait jamais été aussi déterminée qu'en voyant Alcyone pleurant dans ses bras. Elle ne relâcherait rien. Alcyone avait tout apporté à Renata. Une famille, une amie, l'amour. Elles allaient ensemble explorer Ura.
_Vespea. Morpheus.Renata essayait de se faire pardonner. Elle n'avait fait qu'être honnête. Honnête, protectrice, peut-être un peu trop. Elles étaient arrimées à la station de carburant depuis quelques heures et Renata avait fait son possible pour faire oublier la discussion quelles avaient eues le soir même. « Elle est jeune, elle se sait pas vraiment ce qu'elle veut, ça va lui passer ». Elle avait beau se répeter cette phrase en boucle, elle savait qu'elle se mentait à elle même. Alors elle lui avait refusé en bloc la demande d'Alcyone. Aller à l'université, sur Nel Prilla à Aran Prime. C'était hors de question. Même si cela faisait des années qu'elle n'avait pas eu de nouvelles des mercenaires ni d'attaques, c'était bien trop risqué. Alors elle avait juste répondu non. Elle s'en voulait et tentait de remonter le moral de sa fille, en espérant que ça irait mieux.
Dans la cale principale, près de son bureau, elle cherchait des cassettes vieilles comme le monde. Des prospectus, de vieilles cartes électroniques, du matos, des clés. Elle s'affairait dans les gros tiroirs crasseux qu'elle n'avait pas nettoyés depuis un certain temps. Après avoir trouvé ce qu'elle cherchait elle se redressa et s'appuya sur son bureau. Alcyone se trouvait dans un des corridor menant au dortoirs, sans doute en pleine réparation.
« Bon on est là jusqu'à demain, tu veux pas faire un truc ? Genre on se mate un film ou quoi ».Elle était à moitié nue, en simple culotte, un vieux soutif qui cachait à peine ses seins presque inexistants.
« La nourriture est arrivée ? »Oui. Quelque chose titillait Renata. Ce soir là, Alcyone n'avait pas cuisiné mais juste commandé de la nourriture via le wirenet.
« Non pas encore...»Elle soupira légèrement, prenant du bout de ses doigts sales la vieille carte d'abonnement à « Iron&Gold Movies », un grand nom dans la location de films. Elle tourna la carte avec l'adresse du site et finit par regarder la liste des films sur son pad, "histoire de".
« Oh on peut toujours se regarder les Mutants revenants II ou non je sais ! Organza ? Avec l'actrice euh que tu aimes bien là... euh je sais plus comment elle s'appelle... »Elle faisait défiler les affiches virtuelles sur son écran, se dépêchant de trouver quelque chose de convenable. Mais rapidement Renata allait comprendre que sa fille ne voulait rien de tout ça, mais juste qu'elle la soutienne dans sa démarche.
« Non ça va merci, je vais prendre ma douche »Elle avait jeté brusquement son pad contre le bureau. Alcyone avait répondu avec sa voix la plus sèche possible, preuve que oui, elle lui en voulait. Et c'était rare que les deux femmes se disputent. Renata envoya son pied dans le bureau sans ménagement et il sorti de ses lèvres un bruit de douleur apparent.
100/100
Une semaine plus tard, elle l'avait fait. Alcyone l'avait fait. Toutes les peurs, les angoisses de Renata s'étaient évaporées en une fraction de secondes. Alcyone lui avait certes menti, était partie à l'université d'Aran Prime et avait passé le test d'entrée. Mais elle avait réussi. Un résultat parfait. Ce dernier l'attendait fièrement dans le cockpit. Renata était mécontente bien sûr. Sa fille lui avait menti. Mais au final, elle savait qu'elle avait été trop dure avec elle. Elle se rua dans le dortoir où couchait Alcyone.
« Hey tu crois pas que tu vas dormir hein »Elle sauta sur la couchette où se trouvait Alcyone sous la couverture et s'allongea carrément sur elle en lui frottant le haut du front, près de ses tentacules. Alcyone irait à l'université et se ferait sans doute pleins d'amis. Tous les doutes de Renata s'était dissipés, comme si la brume et les ennuis des dernières années avaient disparus.