•• LET'S DO THE TIME WARP AGAIN
Fils de riches propriétaires agricoles de V-Solarii, Jihel n'a pas à se plaindre de son enfance. Son frère aîné et lui ont vécu en bordure de la Colonie Alpha-42, dans une maison imposante et confortable. Son père, Gibran Calivetti, héritier d'une longue lignée de propriétaires terriens de l'un des grands champs de l'Est tenait absolument à donner à ses fils une éducation irréprochable et ne manquant de rien. Aussi, Jihel et Scott ont pu profiter de tout ce qu'Alpha-42 peut proposer à deux jeunes garçons aisés. Ils ont bien entendu eu de nombreux cours avec des tuteurs qualifiés, et ont bénéficié de toutes sortes d'installations. Particulièrement sportives.
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L'endroit était immense, il s'en souvient encore. Un complexe sportif démesuré, proposant aux adhérents toutes sortes de sports et d'équipements. Des sports collectifs aux sports individuels, une piscine et un impressionnant dojo où se succédaient les cours de différentes disciplines de combat. Lui, il avait six ans et une énergie folle à expulser, à exprimer. Scott aussi, mais dans une moindre mesure. Aussi, Jihel fut le premier à aller dans tous les sens, regardant aussi bien les entraînements de Krav'Maga que ceux de handball ou de parkour. Assez rapidement, il fit finalement l'impasse sur les sports collectifs et tout ce qui pouvait avoir trait à l'eau. Oui, après une première tentative ratée, il décida que ce n'était clairement pas son truc. Sans en avoir peur, autant dire qu'être immergé le mettait – et le met toujours – mal à l'aise.
« Bon, J, ça fait cinq fois qu'on revient ici et tu ne sais toujours pas quels cours tu vas prendre ?
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Bah... non ?- Sérieux, tu pourrais te concentrer un peu au lieu de vouloir tout faire ! Je sais pas, t'as rien que tu préfères ?
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Si. Je veux me battre ! Et pis je veux sauter partout ! Et euh... je sais pas.- Ouais, ok. Tu sers à rien. Bah retourne faire un tour auprès du dojo, moi je vais à la piscine ! »
Scott opta donc pour la natation à haut niveau, Jihel demanda à tester plusieurs des cours du dojo, ainsi que le parkour. Voilà. Là, la fracture entre les deux frères se confirma une fois de plus. Ils n'étaient clairement pas les mêmes. Ce qui n'était pas une mauvaise chose, d'ailleurs.
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Scott était plutôt du genre bon élève, très appliqué et posé, Jihel était complètement l'inverse. Autant dire qu'il a rapidement assimilé le fait qu'étant le plus jeune des fils, il n'aurait pas à reprendre l'exploitation familiale. Non, la tâche revenait à Scott, de trois ans plus âgé, ce qui l'arrangeait bien. L'aîné voulait marcher dans les traces de son père, le benjamin rêvait de s'en défaire.
Si, enfants, ce n'était pas quelque chose qu'ils évoquaient, cette réalité leur a progressivement éclaté à la face, dans cette logique bienveillante et silencieuse qui entourait leur éducation. Les fils Calivetti, on ne les emmerdait pas. Leurs parents étaient reconnus et avaient leur mot à dire sur plusieurs décisions impactant l'agriculture locale. Aussi, on préférait s'en faire des amis que des ennemis, et cela passait par le respect forcé qu'on s'imposait envers les deux garçons. Pourtant, ils étaient comme n'importe quels adolescents. Curieux, n'hésitant pas à faire des conneries si l'occasion se présentaient et bravant les interdits : parce que merde, on va pas rester enfermés dans des règles simplement parce qu'on nous l'ordonne ?! Et ça, c'était surtout le cas de Jihel. Progressivement, Scott a abandonné les jeux d'adolescents pour ceux plus fastidieux de futur grand entrepreneur agricole. Leur père, Gibran, en était d'autant plus fier et finit petit à petit par placer son fils aîné au-dessus de tout. Les yeux brillants, consultant avec bonheur les résultats de Scott et l'amenant à ses réunions diverses et variées pour lui faire rapidement une place au sein de la direction de l'exploitation.
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Pendant que Scott devenait le fils prodigue, Jihel continuait son chemin, à la marge. Leur mère, Jane, d'une passivité sans borne et que son mariage avait soudainement propulsé dans un milieu social bien supérieur à celui de sa naissance, ne disait pas un mot de cette scission bien visible qui s'effectuait entre ses deux fils. A l'inverse de son mari, elle n'en oubliait pas le plus jeune, mais elle partageait elle aussi une admiration excessive envers Scott. Jihel, c'était le petit chien fou qu'on a à la maison et dont on ne souhaite qu'une chose : qu'il aille se calmer dehors. C'était un peu comme ça que ça fonctionnait, finalement, lorsque celui-ci atteignit l'adolescence. Avec sa montre Wirenet, il était facile de le localiser, et cela suffisait. Il était les trois quarts du temps au complexe sportif, lorsqu'il n'était pas à ses cours où il se traînait comme s'il allait au bagne. Tout ce que les précepteurs pouvaient lui dire entrait dans une oreille et sortait immédiatement de l'autre. Il ne retenait que quelques anecdotes marrantes ou les faits les plus marquants ayant constitué l'univers comme il était aujourd'hui. Le reste, disons-le tout net : il s'en foutait.
A l'âge de 13 ans, il ne savait pas ce qu'il voulait faire de sa vie, mais il savait ce qu'il ne voulait pas faire.
«
Quoi ? Reprendre l'exploitation avec toi ? Plutôt mourir !- J, t'abuses là.
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Bah non, ça m'intéresse pas. Si tu veux faire le petit chienchien à Papa c'est ton problème, moi je veux pas.- Pff. Tu sers à rien. »
Oui, ça il l'avait bien compris. Quand il se prenait la tête avec son grand frère, ces doux mots lui revenaient régulièrement à la gueule. Une habitude. Pourtant, les deux frangins ne se détestaient pas non plus, disons qu'il était assez clair que leurs parcours de vie ne seraient pas les mêmes, voilà tout.
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En parallèle à tout cela, c'est à cette période que le père de Jihel commença progressivement à développer un agacement vis-à-vis des populations aliens de V-Solarii, et plus précisément de ceux qui travaillaient sur ses exploitations. Difficile de véritablement saisir le comment du pourquoi pour le jeune adolescent qu'était Jihel, mais dans les paroles de son père, il commença à repérer quelques mots, durs, envers les populations non-humaines. Il n'en saisissait pas la portée, mais il commença à en entendre progressivement de plus en plus.
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L'arc, et toutes les autres disciplines de précision, ça lui est tombé dessus par hasard. Depuis le temps qu'il traînait dans le grand complexe sportif, il pensait en connaître tous les recoins... il s'était trompé. Un jour qu'il jouait au con avec d'autres gamins du parkour, il était passé par une fenêtre à l'arrière du bâtiment et y avait découvert une piste de tir avec des cibles de toute sorte. Et des hommes – pour la grande majorité - qui s’entraînaient. Il avait 14 ans, il ne savait toujours pas ce qu'il voulait faire et faire l'idiot était le plus grand résumé de sa vie, à cet âge-là. Il essayait de draguer les filles des cours – sans succès -, il allait voir les films ou les groupes de musique à la mode et se laissait porter par un courant invisible : celui de la jeunesse qui n'a pas à s'en faire mais qui ne réalise pas que malgré tout, on a des attentes pour elle. Cependant, ce jour-là, il a observé ces personnes dont les muscles se tendaient, dont les yeux restaient fixés sur un point, loin, bien plus loin, et qui faisaient preuve d'un sang-froid à tout épreuve. Il en était resté scotché. Lui qui était tout sauf calme, lui dont le terme « sang-froid » lui était jusque-là inconnu...
Son arrivée incongrue avait été repérée par Siam, l'instructeur en charge du local, mais celui-ci dût repérer l'intérêt spontané du jeune blond pour ce qui se tramait dans la pièce, car il ne le vira pas séance tenante.
« Hey, gamin, qu'est-ce que tu fous-là ?
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Euh... j'viens vérifier vos installations électriques ? /
sourire niais/
- C'est ça, joue pas au p'tit malin avec moi. »
Siam, c'était un humain à la peau noire, qui devait bien faire trois fois la taille du gringalet qu'était Jihel, à ce moment-là. Il était aussi grand qu'épais. L'adolescent avait levé la tête vers lui, mais le bruit d'une flèche que l'on décoche attira rapidement son attention et il détourna le regard pour suivre ce qui se tenait là, derrière l'imposant homme. Il y eut un long moment de flottement, et finalement l'instructeur comprit que ce gamin-là venait d'avoir un déclic. Ce n'était pas bien compliqué à comprendre, c'était marqué sur sa tête.
« Bon, tu te fous dans un coin, tu bouges pas. Si tu fais le moindre geste qui dérange les personnes ici, tu jartes, c'est compris ? »
Et pour l'une des premières fois, Jihel resta simplement silencieux et acquiesça de la tête. Les jours se succédèrent ainsi : il allait à ses cours, les subissant toujours autant, puis prenait la direction du complexe sportif. Après le Krav'Maga, le parkour et le Jujitsu, l'heure venue, il se dirigeait ni vu ni connu vers l'arrière du complexe, une zone normalement interdite au public sans accréditation car il s'agissait-là d'une salle d’entraînement de la police de V-Solarii, mais ça, il ne l'apprit que tardivement. Il passait toujours par la même fenêtre, se positionnait souvent simplement sur le bord et regardait. Siam le voyait débarquer. Il ne disait rien. Et le gamin pouvait rester des heures ainsi, dans un état de calme et de silence sincèrement nouveau pour lui. Ce qui se passait là, sous ses yeux, le fascinait. De l'application des archers à la concentration des snipers ou des lanceurs de couteaux, toutes les disciplines de précision se jouaient-là, devant lui. Et il naquit en lui une véritable passion. Lorsqu'il rentrait chez lui, il imitait les mouvements, le bras qui se tend, les muscles qui se crispent, la respiration qui se calme et la main, surtout, qui reste imperturbable. L'arc, particulièrement, plus encore que les armes à feu ou de lancer, le laissait admiratif. Il savait pourtant que c'était une arme que beaucoup considéraient comme désuète, quand bien même beaucoup d'améliorations y étaient apportées, cela ne valait pas un LSR Staff ou un Widow. Il s'en moquait.
Un soir, il était descendu de la fenêtre où il demeurait le plus souvent perché et avait aidé Siam à ranger la salle, récupérant les flèches laissées çà et là. Il ne savait pas comment aborder la chose, l'instructeur le fit pour lui :
« Gamin, tu t'appelles comment ?
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J.- … Ok, moi c'est Siam, instructeur Siam. Viens-là. »
Après un instant d'hésitation, le jeune Calivetti fit ce qu'on lui demandait, et s'approcha. Siam lui tendit un arc. Et voilà. Ce jour-là, il s'est trouvé.
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Pendant trois ans, sa vie fut rythmée ainsi : cours, sports, salle de tirs. Siam trouva en lui un gamin plein d'espoir et qui ne demandait qu'à canaliser son énergie. L'instructeur l'y aida comme personne ne l'avait fait jusque-là. Il croyait en lui alors que sa famille l'oubliait toujours plus, au fil du temps. Grâce à cet homme, Jihel se découvrit un sang-froid inébranlable, une capacité, lorsque l'instant le demandait, à se mettre en position de calme et d'attente et à concentrer son attention sur un seul objectif : atteindre sa cible. Si les débuts furent difficiles, il développa une réelle dextérité au tir à l'arc, mais également aux armes à feu de précision, comme le Widow et au lancer de couteau. A ce stade-là de son adolescence, il ne vivait que pour améliorer toujours plus ces compétences naissantes. Le reste importait peu.
C'est là, d'ailleurs, qu'il fit la connaissance d'Erzo, le fils de l'un des agents de la police locale, qui venait s’entraîner ici. Erzo avait un an de plus que lui, et vint à la salle de tirs alors que Jihel venait récemment de fêter ses 15 ans. Les deux devinrent rapidement amis et s’entraînaient comme des diables, s'essayant à toutes sortes d'armes, sous les directives de Siam. Un jour, Erzo ramena avec lui un magazine, et indiqua à Jihel :
« Regarde, le concours d'entrée d'Aran Prime est dans quatre mois. Il faut que je me prépare ! »
S'il avait déjà entendu le nom de l'académie, Jihel ne s'était jamais réellement penché sur la question. Erzo lui expliqua alors quelle était son ambition : intégrer la Faction Criminelle du SSRC, la police d'élite du Capitole. Au début, Jihel ne comprit pas de suite de quoi il était question, puis il finit par se renseigner de lui-même, et, motivé par l'enthousiasme sans faille de son ami, décida que lui aussi, il rejoindrait le SSRC. Erzo, d'un an son aîné, serait le premier à tenter le concours. Qu'à cela n'tienne, ils se rejoindraient à Aran Prime, ils en étaient convaincus. Et les spots vidéos qui étaient diffusés sur les écrans, louant le mérite des hommes du SSRC et de la SPHERE firent parfaitement leur office dans ces cerveaux naïfs à la recherche de gloire et de sens pour leur vie. Le duo scella d'ailleurs cette promesse en se faisant tatouer, cet été-là, le logo du SSRC sur l'épaule.
Cette décision donna un véritable regain chez Jihel, qui essaya de mettre plus d'application dans ses cours, après que Siam ait souligné le fait que le SSRC ne recrutait pas n'importe qui, et que de nombreux examens les attendraient à l'entrée.
Quatre mois plus tard, Erzo embarquait pour le Capitole.
Sept mois plus tard, Jihel n'avait plus de nouvelles. Il ne savait pas si tout s'était bien passé pour son ami, s'il avait atteint son objectif ou non. Il ne sut rien. Et aujourd'hui encore, cela reste un mystère. En attendant, se faisant à l'idée qu'Erzo imposait pour une raison x ou y un silence radio, il poursuivit sa préparation au concours d'entrée d'Aran Prime avec plus d'application. Il n'était clairement pas un bon élève, il avait tendance à se distraire d'un rien si cela ne concernait ni le combat ni le travail de précision, mais il était convaincu qu'intégrer le SSRC était ce qu'il voulait faire. Alors il s'en donnait au mieux les moyens.
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Les mois se succédèrent et le dialogue entre l'exploitation Calivetti et les employés aliens se durcît d'autant plus. Gibran avait en effet commencé à articuler le souhait de retirer certaines primes à ses employés n'étant pas humains. S'il n'avait rien officialisé, ses plus proches collaborateurs n'avaient progressivement plus de doute quant au fait qu'approcher de trop près certaines espèces suscitait chez l'homme un véritable dégoût en plus d'y voir là une véritable économie sur le long terme. Et lorsqu'il était obligé de croiser certaines espèces pour des raisons commerciales, il ne se privait pas, ensuite, pour y aller de bons petits mots une fois l'interlocuteur parti. Scott et Jihel grandirent donc dans cet environnement, entendant chaque jour plus de jolies phrases prononcées par leur père envers les extraterrestres de toutes sortes. Le plus souvent envers les AS3, mais tous en prenaient plus ou moins pour leur grade. Un discours qu'ils finirent par assimiler à leur tour, estimant que beaucoup des espèces aliens étaient méprisables ou stupides et surtout ingrates, dans le sens qu'elles ne remerciaient pas suffisamment les humains pour tout ce qu'ils faisaient pour eux. Quand bien même il côtoyaient fréquemment des AS1 et AS2, au hasard des rues d'Alpha-42, difficile pour adolescent de ne pas enregistrer tout cela et finir par le croire...
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Vint ensuite le moment où il dut évoquer ce choix à sa famille. C'était un soir calme, un week-end, autour d'un repas quelconque, où il lâcha : «
Je compte tenter le concours d'entrée à Aran Prime. » Il avait lâché ça comme ça, entre son père qui mastiquait sa viande et son frère qui tourna des yeux ronds en questionnant :
« Tu veux intégrer Aran Prime ? T'es sérieux ?!
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Ouep. Je veux rejoindre le SSRC.- … Sur le Capitole ?
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Oui. »
Sa mère, elle, ne dit rien. Il crut déceler une once de surprise puis de tristesse sur son visage. Sans doute rêvait-il. Il y eut un temps d'absence, comme si chacun tentait d'assimiler ce qui venait d'être dit, puis les regards se tournèrent vers Gibran, qui présidait la tablée. Celui-ci but une gorgée de vin et déclara :
« Très bien. Ne nous fais pas honte. »
Comme toujours, l'image de la famille prévalait sur tout. Les choses se firent assez rapidement. Trois mois plus tard, il embarquait pour rejoindre le Capitole et participer au concours d'entrée. Il était recommandé par Siam et son père avait également accepté de remplir la partie du dossier d'inscription réserver à la famille, appuyant par là même la candidature de son fils. Chose rare. Jihel ne savait guère si c'était par plaisir de se débarrasser de lui ou simplement parce qu'enfin, il donnait l'impression d'avoir fait un choix pour son avenir. Dans tous les cas, tout le monde s'y retrouvait : lui, parce qu'il quittait enfin le cocon familial et Alpha-42 où il ne voulait pas moisir, sa famille, parce qu'au moins il ne leur traînerait plus dans les pattes.
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Le reste fut finalement très évident. Malgré ses airs de petit merdeux comique, lorsqu'il s'investit dans quelque chose, il se donne à fond. Certainement est-ce pour cette raison qu'il parvint à intégrer l'académie et la section militaire. Il ne laissait jamais rien tomber et avait des aptitudes physiques satisfaisantes. Durant ses années d'études à Aran Prime, il joua beaucoup sur ce côté tête à claque qui peut pas s'empêcher de faire de l'humour, quelque soit la situation. Non pas qu'il ne prenait pas les choses au sérieux, mais comme il disait, il n'était pas là pour s'enterrer, et si un jour c'était le cas, autant que ce soit avec le sourire. Bien entendu il avait des lacunes, nombreuses, même. Lui, il était un petit gabarit, comparativement à d'autres, et n'était pas du tout un maître stratège. Non, on comprit assez rapidement que ses compétences relevaient plutôt de agilité et de la vitesse, ainsi que des tirs de précisions. Il se débrouillait aussi plutôt bien en pilotage, et on lui mit rapidement un Widow dans les mains. Pilote et sniper. Cela lui convenait. Il ne demandait pas grand chose de plus, même si ses traits d'humour ne plaisaient que rarement et qu'il tapait assez facilement sur le système de ses supérieurs, il était celui sur lequel on pouvait compter et n'hésitait jamais au cours d'une mission, même pour les choses les plus délicates. Un bon soldat, en somme. Il faisait ce qu'on lui demandait, voilà tout.
A Aran Prime, il devint celui qu'il est encore aujourd'hui. Avec ses airs fiers et goguenards, cette manie d'ouvrir la bouche même quand on ne lui demande pas et son fort taux de réussite pour tout ce qui demande de la précision. En ce qui concerne sa vie privée, il faut croire qu'il s'en sort tout aussi bien pour mettre ses cibles dans son lit. Des femmes dans un premier temps, puis il comprit assez rapidement que le sexe de ses conquêtes n'était qu'une formalité et que le sport de chambre, quel que soit ses règles, restait toujours agréable. Avec son physique « ni trop ni pas assez », il parvient plutôt bien à approcher ses proies, et même s'il lui arrive de se prendre des râteaux monumentaux, il rebondit toujours plutôt bien. Aussi, il se découvrit sur cette période des inclinaisons bisexuelles dont il profita à loisir. Après tout, pourquoi se priver des plaisirs de la chair lorsque la vie les met sur votre chemin ?
Croyez-le ou non, au sortir d'Aran Prime, il réussit l'examen final – en restant dans la moyenne, sans faire particulièrement de vagues, et put intégrer le SSRC. Il avait 21 ans. Il commença en tant qu'agent de la Faction de Proximité, même s'il se faisait carrément chier là-dedans... trois ans plus tard, il demanda à être transféré à la Faction d'Intervention. Au regard de son caractère un peu glandeur en apparence, cela ne fut pas forcément au goût de tout le monde, mais son comportement en mission fut mis en avant, et il put enfin rejoindre l'unité. Il allait sur ses 25 ans.
C'est à cette période qu'il entendit parler du syndicat AgriSmart, qui émergeait sur la planète de V-Solarii. Ce syndicat était composé d'une poignée des plus riches des propriétaires terriens des grands champs de l'Est de V-Solarii et avait pour volonté, à en croire leurs communiqués officiels relayés par les médias, d'appliquer une « loi de rentabilité appliquée aux espèces ». Une formulation bâtarde pour évoquer un projet loufoque et exagéré : réduire d'un certain pourcentage les salaires des travailleurs aliens, estimant qu'en plus de leur donner un emploi, ces exploitants agricoles en faisaient déjà beaucoup pour eux, ne serait-ce qu'en leur permettant d'être logés et de bénéficier des installations d'Alpha-42. Un discours qui entraîna un véritable tollé général, tant chez les humains défenseurs du vivre-ensemble que chez toutes les espèces de la Barrière intérieure. Les hautes instances judiciaires refusèrent rapidement une telle proposition, qui s'opposaient à toutes les lois de respect des espèces, en plus d'être tout bonnement illégale. Pour autant, AgriSmart avait frappé un grand coup et son discours se mêla à merveille avec l'idéologie grimpante de la dénommée Lucre, figure du ras-le-bol et de la volonté de domination des humains.
Le dialogue fut carrément bloqué entre le syndicat et ses opposants, et beaucoup d'exploitations agricoles furent la cible d'attaques, parmi lesquelles plusieurs détenues par les Calivetti, Gibran Calivetti ayant très rapidement adhéré au syndicat AgriSmart.
Ce fut consécutivement à tout cela qu'il reçut un appel de son père – il n'allait que très rarement revoir sa famille. Il était toutefois au courant des nombreuses oppositions d'AgriSmart envers les associations de défense des droits des aliens sur V-Solarii. Il suffisait de se renseigner un minimum sur l'actualité des différentes planètes de la Bordure intérieure pour en entendre parler, mais il estimait que cela ne le regardait plus vraiment... cette antipathie envers les aliens s'était un peu distendue désormais qu'il s'était éloigné de la sphère familiale. Pourtant, cet appel, ce jour-là, le ramena directement dedans. Au fil de la conversation – brève et inintéressante -, son père sembla soudainement se souvenir de son existence et lui indiqua, avec tout son art de la rhétorique, qu'il fallait qu'il s'intéresse à Lucre et ses idées. Qu'il soutienne cette dernière, convaincu qu'il était qu'elle jouerait un rôle majeur dans la politique à venir du Capitole. Jamais Gibran Calivetti n'a été plus visionnaire.
Ce n'était pas un conseil, ce n'était pas une proposition, c'était tout simplement un ordre. Et en bon soldat, il obéit. Son père insista bien en lui rappelant ses propos fortement connotés et le fait que cela lui serait forcément bénéfique, à un moment où un autre, dans sa carrière au SSRC. Ce qui n'était pas faux, il fallait l'admettre, car désormais, plusieurs années plus tard, l'Impératrice Lucre est effectivement au sommet de la hiérarchie militaire sur Le Capitole. Alors il s'appliqua à soutenir l'idéologie impériale. Un peu par conviction, un peu par intérêt, surtout dans cette logique de faire ce qui serait le mieux pour plus tard, et se permettre d'ouvrir encore plus sa gueule pour dire des conneries connotées envers les détraqués en tout genre qui pullulent au Capitole ou ailleurs.
Humain, Agent de la FI du SSRC, soutient à l'idéologie impériale, c'est ce qu'il est, maintenant.